Critique de L’homme irrationnel, de Woody Allen

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Depuis quelques temps déjà, on attend chaque année le prochain Woody Allen avec une certaine lassitude plus ou moins teintée de curiosité, en se disant que cette année on pourrait avoir droit à bon cru voire un film de la verve de ses films d’antan. En fait, ce qui porte le plus préjudice à L’homme irrationnel, c’est de passer après la plutôt rafraîchissante comédie sentimentale premier degré mais maline Magic in the Moonlight. Car L’homme irrationnel est pratiquement tout l’inverse, malgré la présence encore une fois d’Emma Stone.

Ici, on est davantage du côté de Match Point (le romanesque en moins) et du Rêve de Cassandre, Woody Allen jouant sur ses thèmes favoris de la relation de couple et du meurtre avec une ironie acerbe.

Une ironie de personnages déjà, Emma Stone jouant une jeune intellectuelle sûre d’elle et hypocrite avec parfois une délectante exagération (la scène où Joaquin Phoenix lui révèle son meurtre). Il serait ainsi une erreur de prendre le revirement final comme une véritable épiphanie, une morale assénée en voix-off qui offrirait une rédemption au personnage. Qu’elle soit avec son copain pseudo-parfait (qui se comporte pourtant comme un idiot peu sûr de lui et méprisant pendant 70% du film) qu’elle n’aime pas malgré ses dires, ou avec ce professeur de philosophie aux jugements à l’emporte pièce (le montage des scènes de cours le montre bien, en ne laissant au personnage de Joaquin Phoenix qu’à peine le temps de s’exprimer au cours d’une ou deux phrases), la relation de couple ne fonctionne pas, ne peut pas fonctionner, tout simplement car les personnages sont d’un égocentrisme ahurissant.

Il y a bien sûr également une ironie de situations, un jeu sur le quiproquo, une variation de la thématique du meurtre comme révélateur de soi et puissance de vie. En cela, le film est sympathique mais assez classique, et surtout très prévisible. Pour autant, le cinéma de Woody Allen est souvent jubilatoire grâce à cette prévisibilité, le spectateur sachant très bien que le pot aux roses sera découvert et se délecte du moment où il sent que cela va arriver.

Cela n’empêche pas de n’ennuyer parfois lorsque le rythme n’est pas bon, mais L’homme irrationnel dispose d’un recul sur le scénario-même très intéressant. En effet, on ne peut s’empêcher de remarquer la présence d’une musique jazzy au piano, énergique lors du premier montage musical, sympathique lors du deuxième, mais insupportable passé le troisième (le film allant facilement jusqu’à six ou sept). A première vue, ces incursions musicales apparaissent comme un moyen facile de rythmer le récit, de combler le vide de l’action à ces moments. Une faute grossière donc. Pourtant, en repensant à l’ironie générale du film, il est très tentant de voir dans cette répétition agaçante une intention critique de l’auteur, comme si le suspense habituel de ses films (et de bien d’autres par ailleurs) était mis à distance, que la forme du film s’alliait avec le caractère insupportable de ses personnages. Ou pourrait d’ailleurs dire la même chose de la voix-off, non pas par son emploi mais par le cliché de ce qui y est dit.

Ce qui est fort avec L’homme irrationnel, c’est que malgré cette dimension ironique il n’en reste pas moins plaisant, le tout grâce à des interprètes efficaces et un sens de la comédie que l’on sait toujours gré à Woody Allen. Le film manque peut-être de plus de moments mémorables pour être parfaitement équilibré, mais il a définitivement une place intéressante dans la filmographie de l’américain.

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